Les Seigneurs de la Guerre


UN MILITAIRE, UN HOMME D'HONNEUR, UN IDÉALISTE.

Les Seigneurs de la Guerre
Réalisé par Peter Ho-Sun Chan & Wai Man Yip
Avec Jet Li, Andy Lau, Takeshi Kaneshiro et Xu Jing Lei
Chorégraphié par Tony Ching Siu-Tung
110min




Grande fresque historique au budget colossal et libre adaptation de faits historiques, The Warlords raconte le vol en éclat d'une fraternité scellée par un pacte de sang entre un général déchu, un vertueux chef bandit et son jeune second idéaliste. Fraternité brisée par la guerre, le pouvoir... et une femme. Nous sommes en 1870, dans une Chine secouée par de multiples conflits sous la dynastie des Qing, et le film de Peter Ho-Sun Chan est presque réussi...

Réunir les superstars Jet Li, Andy Lau et Takeshi Kaneshiro tiendrait du rêve si la nouvelle vague de ces fresques épiques, telles An Empress and the Warriors ou encore Three Kingdoms, n'avait pas cette habitude de suivre une tendance très « bling bling ». Hélas, nul besoin d'être un érudit pour savoir à quel point un projet et une équipe, aussi impressionnants soient-il, ne peuvent garantir un résultat à la hauteur des espérances. Même si le film de Peter Ho-Sun Chan s'est vu gratifié par un nombre impressionnant de récompenses ainsi qu'un incroyable succès au box-office, il semble susciter comme une légère déception, malgré de solides qualités.

Les premiers plans qui surgissent avec fracas sont éloquents. Des hommes se massacrent dans des nuages de poussière et des giclées de sang, et nulle vue d'ensemble ne vient aérer cette bataille que les cadrages du réalisateur rendent sèche et suffocante. Ainsi, Les Seigneurs de la Guerre livre d'emblée son propos : cette histoire se déroulera à hauteur des hommes, en dépit des situations qui les dépasseront de si haut. Comme pour aller dans le sens de l'absence d'effets spéciaux au profit de figurants, de lieux et de costumes bien réels, on ne saurait compter le nombre de plans rapprochés sur les visages des héros, balayant toute vue héroïque pour mieux cerner leur dimension humaine et fragile. La poussière et la boue, incrustées dans les rides des visages fatigués par la famine et la guerre, n'en deviennent que d'autant plus frappantes sur les traits marqués d'un Jet Li, ici véritablement acteur, ou d'une Xu Jing Lei d'ordinaire si radieuse.

La dislocation progressive du trio semble coïncider avec leurs appropriations respectives et de plus en plus exclusives de l'image. En dépit d'un manque de charisme relatif chez les héros, ce sont les cruels dilemmes auxquels ils devront faire face qui les rapprocheront du spectateur, et bien que l'on puisse éventuellement se perdre dans les noms, lors de chaque discours stratégique et politique, le montage ne se départira jamais d'une appréciable limpidité. Les teintes grisâtres ne reflètent pas tant l'âpreté de l'histoire que l'absence de manichéisme. La guerre impose des choix, le pouvoir invite à en faire, l'amour n'en fait qu'à sa tête. Rien n'est blanc ni noir. Tout est gris.

Pierre-Louis Coudercy




Bande-annonce française
(option Youtube HD préférable)



3, Histoires de l'Au-Delà


"LA MORT N'EST PLUS UNE FIN EN SOI. MAIS BIEN UN COMMENCEMENT..."

3, Histoires de l'Au-Delà
Réalisé par Kim Jee-woon, Nonzee Nimibutr, Peter Ho-Sun Chan
Avec Kim Hye-soo, Eric Tsang, Leon Lai, Eugenia Yuan
125 min




Film à sketches pan-asiatique réunissant des réalisateurs réputés autour du thème de l'au-delà, Three fait partie de ce type de projets intéressants mais fatalement hétérogènes de qualité. Trois histoires différentes, l'une en Corée, la deuxième en Thaïlande et la dernière à Hong Kong. Trois sensibilités différentes pour trois manières d'aborder l'existence post-mortem...

Le retour sur Three se justifie par l'apparition dans les salles obscures des Seigneurs de la Guerre, épopée de guerre aux moyens colossaux, réalisée par Peter Ho-Sun Chan. En vérité, plus que le metteur en scène du dernier moyen-métrage de Three, ce dernier a également été l'instigateur du projet – projet qu'il réitérera ultérieurement avec 3 Extrêmes, autrement plus fascinant. Selon ses dires, les films s'exportaient mal entre pays asiatiques à l'époque, exception faite du mastodonte hong-kongais. L'objectif fut donc d'introduire pour chaque réalisateur de son pays deux autres oeuvres en langue étrangère, sur son territoire, et dans le registre horrifique car c'était à priori le genre qui pouvait circuler le plus facilement entre les différentes cultures.

« Film d'horreur » est un mauvais terme pour désigner Three, car si le sketch Memories de Kim Jee-woon s'inscrit pleinement dans ce domaine avec son histoire de hantise, sa photographie froide et ses effrayantes apparitions aux longs cheveux noirs, et si The Weel, celui de Nonzee Nimibutr l'est tout autant (mais dans un sens différent) de par sa médiocrité et sa mollesse, en revanche, celui de leur collègue hong-kongais ne s'éloigne finalement pas tant que cela du registre de prédilection de ce dernier, à savoir le mélodrame romantique.

Les multiples travellings nous laissant contempler les appartements désertés des grands ensembles résidentiels de Hong Kong évoquent un passé abandonné et un avenir incertain. A cet égard, les photographies accrochées à un miroir isolé nous inviteraient presque ostensiblement à imaginer des fragments de vie passée, minuscules vestiges à peine voués à perdurer après la mort de leurs anciens propriétaires. Vie, mort, au-delà... et la fragile passerelle reliant ces trois extrêmes de l'existence humaine... Ce sont ces notions si classiques et pourtant si peu évidentes à appréhender qui composent Going Home, le petit film de Peter Ho-Sun Chan.

Ainsi, c'est entre autres à travers la mise en scène de la première apparition de Leon Lai – dont la composition est étonnante, que l'on en vient à se demander si ce qui nous entoure est vivant ou mort. A l'image de cet étrange personnage émergeant lentement de l'obscurité totale, la photographie élaborée par Christopher Doyle attribue à l'univers diégétique quelque chose de vaguement fantomatique, décolorant la palette chromatique et renforçant la densité des tons clairs et obscurs. Cette pâleur de peau marquant chaque visage est-elle l'extinction de la vie, scarifiée par son agonie, ou bien au contraire une lente renaissance ?

Le docteur incarné par Leon Lai passerait certes pour un fou en croyant ressusciter petit à petit sa femme, au terme de nombreux jours de soins réguliers. Typiquement chinois est cet emploi de l'herbe médicinale pour vaincre les maux, disait Peter Ho-Sun Chan. Mais par-dessus tout, profondément universel est cet espoir de retrouver un jour ceux que nous avons perdu. Montrer deux fois la mort d'un personnage via le montage relève d'une certaine obscénité, dit-on... Peut-être, mais par ce même montage, faire revivre les défunts le temps d'une image, le temps d'une larme, grâce au fait que l'on puisse « croire », cela restera toujours d'une indéniable beauté.

Pierre-Louis Coudercy



Flash Point


"LES POLICIERS ATTRAPENT LES CRIMINELS"

Flash Point
Réalisé par Wilson Yip, chorégraphié par Donnie Yen
Avec Donnie Yen, Louis Koo, Collin Chou, Fan Bingbing
88 min





Troisième collaboration entre le nouveau-venu parmi les grands Wilson Yip et le virtuose martial Donnie Yen, Flash Point est un polar sec et nerveux. Avant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, le violent officier Jun Ma est sur le point de faire tomber le dangereux gang des trois frères sino-vietnamiens. Hélas, son collègue infiltré est démasqué et gravement blessé, d'autant plus que les frères ne s'en arrêtent pas là, afin de supprimer les preuves compromettantes. Aveuglé par la colère devant la cruauté du gang, Jun Ma se lance dans une répression sans merci. Flash Point ou un divertissement de choix pour les amateurs de polars d'arts martiaux.

Avant le déjanté Dragon Tiger Gate, frisant le kitsch dans ses couleurs pétantes et ses combats ébouriffants, il y avait SPL. Ce dernier et Flash Point pourraient être vus comme deux faces d'une seule et même pièce, chacun étant le contraire de l'autre. Aux scènes crépusculaires de SPL se succèdent les séquences ensoleillées de Flash Point. A la détresse du premier s'oppose la rage aveugle du second. Seul point thématique commun : l'explosion de la violence comme fin de parcours inéluctable.

Cette brutalité n'attend toutefois pas le dernier tiers du film pour lacérer l'écran, imprégnant déjà les brèves scènes de combat disséminées sur la première partie. Aucune concession n'est accordée, aucune pitié n'est éprouvée, pas même envers une petite fille en larmes ou un homme désarmé, à tel point que la violence pourrait s'avérer purement gratuite, au service d'un scénario des plus basiques.

En effet, le principal défaut que l'on pourrait reprocher à Flash Point serait son scénario aussi basique que stéréotypé . Si l'évolution de l'histoire et la caractérisation des personnages peuvent apparaître comme des prétextes pour les scènes d'action, le scénario garde au moins une relative cohérence dans l'enchaînement de ses séquences. Certes, l'absence de réelle subtilité ou de renversement peut refléter une vacuité indéniable, mais nous pourrions tout aussi bien considérer qu'il s'agit là d'un choix délibéré vis-à-vis d'un film qui prône l'action sauvage et décomplexée.

Flash Point fait assurément partie de ce genre de productions, alors autant ne pas bouder son plaisir et profiter du spectacle. Soutenue par une musique aux accents simples mais aux percussions dynamiques, la mise en scène de Wilson Yip revendique une clarté optimale, tout comme celle de Donnie Yen lors des combats. Ces derniers y gagnent considérablement en efficacité, car la vivacité et la virtuosité des chorégraphies sont de très haute volée. Plus qu'un simple climax, la dernière (longue) scène d'action nous offre un combat d'arts martiaux d'une puissance dantesque, justifiant presque la vision du film à elle seule...

Pierre-Louis Coudercy





Bande-annonce : sous-titres anglais
(film sorti en DVD le 21 Janvier)


Los Bastardos + Pour un instant, la liberté


DÉSIRS EN EXIL

Los Bastardos (réalisé et écrit par Amat Escalante) et Pour un instant, la liberté (réalisé par Arash T. Riahi)

Hasard du calendrier, le 28 janvier dernier les salles de cinéma ont accouché de deux films forts prenant pour thème l’exil : Los Bastardos et Pour un instant, la liberté. Quand le cinéma devient le territoire d’une parole engagée, les images laissent sans voix.

Escalante est américain d’origine mexicaine, Riahi autrichien d’origine iranienne ; si leur histoire est différente, elle a nourri leur inspiration d’une égale intensité. Leurs films racontent au présent la traversée des frontières que firent leurs propres parents. Le regard que portent les deux réalisateurs, en tant que « 2ème génération » d’immigrés, luit aussi de la même révolte face à l’absurde du racisme et l’inhumanité des procédés bureaucratiques.

Los Bastardos était présent à Cannes (sélection Un Certain Regard), et a déjà éclaboussé la Croisette de ses scènes sanglantes. Pas étonnant de la part d’Amat Escalante, qui s’était déjà distingué en 2005 avec son premier long, le cinglant Sangre. Son dernier film raffle tous les prix sur son passage. Il narre les 24 heures de la vie de deux travailleurs mexicains clandestins à Los Angeles. La lenteur des séquences perturbe, et la violence, qui jaillit de la scène pivot du film, étrangle sans prévenir. Ici la rédemption est impossible, peut-être parce que l’on est trop proche de la réalité ? Des aplats de couleurs entrecoupent le film sur des riffs de guitare survoltés. « Ce sont les couleurs du drapeau mexicain, explique Escalante, parce que c’est tout ce qui reste aux immigrés une fois qu’ils ont quitté le pays. » Aux réfugiés iraniens en dérive de Pour un instant, la liberté, c’est la radio qui devient l’ultime point d’attache. De facture plus classique, le film d’Arash T. Riahi (déjà systématiquement récompensé dans plusieurs festivals par le Prix du public) fait rire et pleurer le masque de la tragédie. Le destin de douze personnages ayant franchi les montagnes pour rejoindre la Turquie se déplie avec une justesse bouleversante ; et pour cause, Riahi a mis 7 ans à monter son film, durant lesquels il a mené une réflexion intense sur la problématique des réfugiés. Ses portraits croisés, loin de disperser le récit, l’attachent au contraire aux moments de bonheur éphémère que Riahi choisit de montrer. Dans l’attente des papiers, les rêves d’une vie meilleure se mélangent à l’incertitude d’avoir fait le bon choix. Deux films que l’on ne saurait donc que trop conseiller aussi au nouveau Ministre de « l'Immigration et de l'Identité nationale »…

BA :: Los Bastardos (distrib. Le Pacte / sortie le 28 janvier 2009)


BA :: Pour un instant, la liberté (distrib. Les Films du Losange / sortie le 28 janvier 2009)



Nora Mandray