Théâtre : Sarah Kane, Love Me or Kill Me


Voilà dix ans que le monde du théâtre perdait une de ses dramaturges britanniques les plus prometteuses et révolutionnaires : Sarah Kane.

En 1999, âgée d’une vingtaine d’années à peine, Kane se pend avec ses lacets de chaussures dans les toilettes d’un hôpital, laissant derrière elle cinq pièces exceptionnelles : Anéantis (1994), L’Amour de Phèdre (1996), Purifiés (1998), Manque (1998) et 4.48 Psychose (2000), qui furent sévèrement attaquées par les critiques choqués lors de leur création et que des figures telles que Harold Pinter et Edouard Bond travailleront à faire ré-estimer à leur juste valeur.

Trop vite assimilée à des œuvres telles que Trainspotting de Danny Boyle, dépourvues de toute autre idée que le désir adolescent de choquer, l’œuvre de Sarah Kane est certes marquée par des successions de viols, mutilations et violences en tout genre, mais les images scéniques ne sont jamais gratuites, il existe toujours un souci d’honnêteté absolue sous-jacent : « il n’y a rien qui ne puisse être représenté sur scène. Si on dit qu’on ne peut pas représenter quelque chose, c’est qu’on ne peut pas en parler, on nie son existence, et ça c’est vraiment faire preuve d’une ignorance extraordinaire » (Sarah Kane). C’est une façon de rappeler au public, anesthésié par la télévision, que le théâtre est davantage que l’addition de comédies de boulevard n’exigeant aucun effort.

Kane développe des thèmes récurrents tels que l’existence de Dieu, le suicide, la sensibilité masculine malsaine et nihiliste, les effets de la violence et les (non-)limites de la brutalité humaine, les désirs inexprimés, l’amour honnête et absolu. Sous l’influence de Beckett surtout, mais aussi Strindberg ou Artaud, la dramaturge utilise une langue minimaliste visant surtout à accentuer les images scéniques en rendant plus floue l’attitude morale des protagonistes. Protagonistes qui sont davantage représentatifs d’états d’âme, de charge émotionnelle que porteurs d’une vraisemblance psychologique.

Forme désespérée d’optimisme, l’œuvre de Sarah Kane redéfinit le théâtre dans la représentation scénique absolument nécessaire au-delà du texte littéraire ou de toute adaptation audiovisuelle. Ses pièces sont faites pour être montées, laisser dormir de telles intensités sur les pages figées d’un livre est une grande perte. Comment se fait-il qu’une dramaturge ayant tellement marqué son temps soit aujourd’hui - dix ans exactement après sa disparition - absente des scènes françaises ? Il ne reste plus qu’à espérer que le Festival d’Avignon ne manquera pas de lui rendre hommage cet été. En désespoir de cause, on pourra se rabattre sur l’excellent ouvrage de Graham Saunders Love Me or Kill Me, Sarah Kane et le Théâtre, analyse très complète et documentée de l’œuvre de la dramaturge.

Ana Kaschcett

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