Réédition : L'Étrangleur de Boston


de Richard Fleischer (1968)



Alors que The Chaser propose déjà de suivre un tueur en série dans les méandres de son esprit dérangé et des ruelles de Séoul (cf. l'article dans ce même numéro), l'Action Écoles projette une réédition en copie neuve de The Boston Strangler. Nous ne sommes plus en Corée en 2008 mais à Boston en 1962, et les meurtres n'ont plus lieu au ciseau à bois mais par étranglement. John Bottomly (Henry Fonda) tente par tous les moyens de mettre la main sur celui que la presse a sacré « étrangleur de Boston ». Et ce n'est qu'à la moitié du film qu'un dénommé Alberto DeSalvo (Tony Curtis), arrêté pour une simple effraction, va finir par éveiller les soupçons... sauf que ce respectable père de famille ne se souvient de rien.

Richard Fleischer, après une formation théâtrale, est repéré par un chercheur de talents de la RKO et accède à la reconnaissance publique et critique grâce au film noir The Narrow Margin (L'énigme du Chicago Express), qu'il tourne en moins de deux semaines avec un budget ridicule. Cinéaste qui aime à utiliser des procédés formels (il est fils et neveu des créateurs de Betty Boop), « on sent que Richard Fleischer, styliste convaincu, cherche ici à utiliser quelques bases de l'animation : rigueur du cadre et du dessin, liberté des mouvements, fluidité dans les ruptures. Mais la prouesse dans ce film est d'explorer ces bases, non plus avec la plume, mais avec les éléments du réel » soulignera Jean Douchet. Déjà Fleischer s'était frotté à la 3d avec Arena en 1953, et lorsqu'en 1967 il assiste à la projection de Labyrinthe, de Roman Kroitor, il envisage de mettre la technique du split-screen à l'épreuve pour The Boston Strangler. Kroitor l'avait prédis : « Cette technologie va produire de nouvelles manières de narrer et des changements dans le goût du public (…) On ne travaille donc plus avec une surface plane mais plutôt avec un volume infini ». De Palma, Wise et bien d'autres retiendront la leçon.

Mais pour Fleischer, puisque « l'individu était un schizophrène, une personnalité multiple classique, (…) quoi de plus approprié que l'utilisation d'écrans multiples et d'images fragmentées pour transposer son cas à l'écran ? ». Son film propose donc au spectateur une approche beaucoup moins attendue que le scénario pouvait le laisser entendre. Par son formalisme assumé, il refuse l'émotion forte, et privilégie une observation distanciée de la nature humaine.

Le film est clairement divisé en deux partie : dans la première, la police mène l'enquête, et quadrille la ville à la recherche du tueur, tandis que la population féminine, de plus en plus paniquée, s'enferme chez elle. L'écran se scinde alors, suggérant la concomitance temporelle et la multiplicité des actions à travers la ville : arrestation de suspects, femmes s'enfermant chez elles, serrures refermées à double tour, couteaux déposés en évidence... Mais le coupable continue à sévir, et là encore le split-screen est employé afin de proposer différents points de vue : nous sommes à la fois derrière la porte où le meurtre a eut lieu, apercevant dans un coin le cadavre d'une femme, et à la fois du côté de ceux qui vont découvrir le crime et ouvrir la porte. L'attention ainsi divisée du spectateur empêche l'immersion émotionnelle au profit d'une observation attentive du procédé filmique en lui-même.

A l'image de l'écran, l'enquête qui n'en finit pas est disloquée, les différents services de police ne travaillant pas à l'unisson. Bottomly est alors chargé de centraliser les recherches, fort de son intuition et de sa rigueur de juriste. On croirait un Fonda tout droit sorti de Vers sa Destinée de Ford et de Tempête à Washington de Preminger tout à la fois, sans être passé par la case communiste : incarnation de la droiture et de la justice américaine, il est l'homme de loi qui, confronté à une nature humaine incompréhensible, verra cependant ses certitudes vaciller devant la fascination que le tueur exerce sur lui. La faille n'est jamais très loin par laquelle s'engouffre la folie. Kennedy, comme de juste, vient d'être assassiné, et DeSalvo assiste en famille à la retransmission télévisée des funérailles : les États-Unis font face à l’inimaginable, et dans le microcosme bostonien « le crime est ramené à une maladie, plus que jamais sociale, une sorte d'autochâtiment que s'inflige la société... » (Benayoun). Si le tueur est mis hors d'état de nuire, les raisons de son geste ne seront jamais expliquées. Pakula et la fin pessimiste d'À Cause d'un Assassinat ne sont pas loin (cf. QL 3).

Dans la deuxième partie du film, Curtis et Fonda se font face dans un tête-à-tête où le blanc envahit inexorablement l'image à mesure que le meurtrier prend conscience de sa culpabilité. Le formalisme, encore une fois, empêche de tomber dans l'émotion pour privilégier l'observation rigoureuse de Curtis évoluant dans le cadre comme dans une cage, sans parvenir à lui échapper, pas plus qu'il n'échappera à sa double personnalité. La glace sans tain de la salle où il est interrogé l'obsède, le split-screen s'intègre complètement à la fiction, et Curtis, immanquablement, craque, après la magistrale prouesse d’acteur d’un étranglement sans victime.

Piera Simon

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