Une Famille Chinoise


UN BALLET A QUATRE DANS UN OPÉRA HANTÉ PAR LA MALADIE

Une Famille Chinoise

Réalisé par Wang Xiaoshuai





Après avoir vaguement lu le synopsis je me glisse dans une petite salle de cinéma où, une fois immergé dans le noir, le film débute sur une voix de femme. Elle indique à un chauffeur de tourner à gauche puis à droite. « Gauche/ Droite », comme le titre original.

Mais où va-t-on ? Nous allons suivre l’histoire de trois couples. Dont un est divorcé et les deux autres composés de chaque côté des deux protagonistes formant le premier (Mei Zhu et Xiao Lu). Déjà que c’est légèrement compliqué vient s’introduire l’élément clé de l’histoire, la fille (Héhé) issue de l’amour déchu et atteinte d’une leucémie. Pour la sauver, il lui faut une greffe de moelle osseuse compatible provenant de sa mère ou de son père et dans le cas échéant, d’un autre enfant issu des mêmes parents. C’est donc avec ces personnages que va se dessiner un tableau d’une Chine moderne et ses problèmes actuels. En arrière plan le décor est triste et monotone. Nous comprenons vite que les paysages à couper le souffle de Tigre et dragon ne font pas parti du quotidien du chinois lambda et que tout le monde n’est pas zen et souriant comme on voudrait nous le faire croire. Ici c’est d’ailleurs tout l’inverse d’une Chine qu’on pensait belle, traditionnelle, droite, et pure des jeux Olympiques. Bref en un mot, à l’opposé de nous occidentaux modernes. Car au contraire ces personnages au fond, c’est nous tous dépeints avec un réalisme effrayant.

En effet Wang Xiaoshuai soulève des questions essentielles.

Il y a bien sûr les avatars de la règle de l’enfant unique valable depuis la fin des années 70. Question bien polémique, surtout depuis la modification apportée en 2002 de l’acceptation d’un second enfant en échange d’une amende de 5000 Yuans (environ 537 Euros) permettant aux couples reconstruits, après séparation, de voir naître leur progéniture.
Mais aussi en couches superposées la classe moyenne et leur train-train quotidien où la culture est totalement perdue. Les dettes, les problèmes d’argent, la vie colorée par quelques sourires masquant l’absence de temps à deux. Des êtres en quête de sens dans une ère de consommation. Le manque de communication lorsque tout le monde dispose d’un téléphone portable. Et la venue des « bébé-médicament »…

Sauf que… Une famille chinoise surprend et nous assomme surtout par le refrain qui va être joué tout le long du film. Celui d’une mère brandissant un drapeau d’un rouge flamboyant sur lequel est inscrit « Ma fille est mourante! » tandis que dans l’autre main se tient son arme fatale et sans faille : la responsabilité possible de la mort de Héhé éveillant la culpabilité (essence même de la civilisation d’après Sigmund Freud). « Tu ne vas pas la laisser mourir ?» Ainsi est le spectacle qui s’offre à nos yeux. La mère de Héhé va trouver le moyen d’accomplir sans scrupule ou presque, l’adultère avec comme amant son ancien mari amoureux d’une jeune femme pour qui il l’a, on suppose, quittée. Tout ça sous couvert de « c’est pour ma fille ». Fille qu’elle ne voit plus beaucoup, trop occupé par sa grande cause. Car pourquoi dans ce film Héhé n’apparaît, tel un fantôme caché, que pour susciter la peine alors qu’elle est censée être pour qui tout se passe? Pourquoi sa mère revendicatrice de lutte noble met-elle du temps à annoncer à son mari qu’elle souhaite un enfant de son ex-compagnon ? Car si l’on en croit ses dires c’est pour sauver une vie alors d’où vient ce malaise. Et surtout le mensonge, elle ne souhaite pas lui dire qu’elle va aller jusqu’à recoucher avec cet homme à défaut d’une fécondation in vitro.

Réussir à porter en elle l’enfant interdit qui va naître sous le signe du secret en ayant la consciente tranquille est un projet prometteur de plaisir sans nom. Aussi pour fêter les 100 ans de notre cher anthropologue Claude Lévi-Strauss nous rappellerons quelle est la loi universelle régissant l’espèce humaine : La prohibition de l’inceste. L’interdit attisant nos plus forts désirs… cette mère va donc orchestrer magistralement ce ballet à quatre personnages très différents et modèles d’hommes contemporains, où seront coupables tous ceux qui ne se soumettront pas à son vouloir omnipotent. Nous pourrions croire alors à un « happy end » pour cette dame chinoise mais dans « la forêt des paradoxes », comme nous l’a démontré Le Clézio lors de son discours, se trouve également l’énigme du désir toujours manquant. Ainsi, Une famille Chinoise est digne d’une tragédie grecque des temps nouveaux, un crescendo concluant sur une gamme mineure.

Sophie Lac

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