L’Idiot

L’IDIOT

Réalisé par Pierre Léon
Avec Jeanne Balibar, Laurent Lacotte




Dans cette adaptation, Pierre Léon s’attaque au titanesque l’Idiot de Dostoïevski avec une singulière modestie, car contrairement à ce que suggère le titre, ce film n’est que la transposition à l’écran d’un fragment du classique russe. Le chapitre élu est celui du dîner de têtes donné par la fiévreuse Nastassia Philippovna, au cours duquel elle se vendra au plus offrant de ses prétendants.

Encore un film en noir & blanc, une énième tentative pour combler un manque d’inspiration par une « stylisation » gratuite ?

C’est ce qui vient spontanément à l’esprit de celui qui lève la tête vers cette affiche austère. Et c’est dommage. Il serait dommage en effet de se priver d’une Jeanne Balibar en reine des abeilles, qui mène la danse sans faire de faux-pas. Si l’épisode laisse l’idiot dans l’ombre, ce n’est que pour en faire plus brillamment ressortir le jeu d’actrice de la grande dame, et la trame psychologique d’un personnage qu’on croirait tout droit sorti des Liaisons dangereuses. La caméra isole la femme convoitée dans des plans rapprochés, l’érigeant en tour imprenable. A côté, la succession des visages masculins, saisis par des gros plans, rappelle un jeu de cartes où l’on aurait gardé que les têtes, et dans l’apparente nonchalance avec laquelle la reine fait son choix, nous ne sommes pas loin du tirage au sort…

Certes, les moyens donnés pour l’orchestration de ce petit jeu, en vingt jours de tournage et une heure de bobine, ne permettent pas de créer le panache des adaptations à plus gros budget. Mais c’est comme cela que le réalisateur travaille, entre amis, sans pression de la production… et c’est tant mieux, car alors on se permet de faire preuve d’ingéniosité, on sort des sentiers battus.

Théâtral. C’est l’adjectif qui résume le mieux ce film-séquence, comme si Pierre Léon hésitait entre l’adaptation scénique et cinématographique. La distance qu’instaure le n&b, la simplicité d’un décor unique, la diction des personnages, dont les mots ressortent pleins et sans écorchure, le monologue -puisqu’il faut appeler un chat un chat- d’ouverture, et jusqu’au rideau par lequel les personnages entrent tour à tour…tout concourre à troubler le spectateur et ses attentes. Le jeu n’est pas naturel, les acteurs surjouent, nous forçant à prendre du recul. Cette manœuvre, très brechtienne, ne nous permet que mieux d’apprécier les talents de conteur de l’écrivain. La prose résonne avec force et étrangeté, tout le long de ce film à texte qui donne envie d’aller ouvrir le livre…

Elise Le Corre

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