Villa Amalia (avis & contre-avis)


VILLA AMALIA


Réalisé par Benoît Jacquot
Scénario de Benoît Jacquot et Julien Boivent
D’après l’œuvre de Pascal Quignard




Benoît Jacquot nous livre comme à son habitude une œuvre touchante et personnelle, adaptée librement du roman de Pascal Quignard. La genèse de ce film vient simplement de son désir de travailler à nouveau avec Isabelle Huppert qui illumine l’écran pour sa cinquième collaboration avec ce réalisateur. Elle incarne Ann, pianiste, qui surprend l’homme avec qui elle vit depuis quinze ans avec sa maîtresse. Dès lors elle décide de le quitter, lui, ainsi que toute sa vie d’avant, recommencer tout à zéro, s’enfuir pour de bon. Le cinéaste et sa muse ont su donner beaucoup d’émotion à cet itinéraire hypnotique.

Peu après avoir surpris Thomas, son conjoint, en compagnie de sa maîtresse, Ann rencontre Georges, un ami d’enfance qu’elle n’a pas revu depuis des années, à qui elle confie son projet : tout quitter. Elle est désormais déterminée à « éteindre sa vie d’avant », ne plus revoir Thomas, vendre son appartement et ses meubles, abandonner son métier de pianiste, bref rompre tout lien avec ce qu’elle était, n’être plus personne, et recommencer une nouvelle vie. Ce projet, que tout le monde a sans doute au moins effleuré par la pensée ne serait-ce qu’un instant une fois dans sa vie, apparaît utopique et ressemble plus à un concept qu’à une idée concrètement réalisable. Pourtant dans ce film Ann le respecte à la lettre et aucune des étapes n’est passée sous silence. On suit la progression de ce changement de cap jusque dans les détails de la visite de l’appartement par des potentiels acheteurs ou par la décision du compte bancaire où déposer l’argent, qui se révélera être celui de Georges. Ainsi elle ne pourra pas être localisée grâce à sa carte bancaire dont elle ne fera pas usage.

Malgré ce réalisme, le film semble pourtant porté par une aura poétique, grâce à Isabelle Huppert à la fois extraordinaire de naturel et de spontanéité et mystérieuse et fascinante, sans qu’aucun élément de psychologie ne nous soit donné. La raison de ce départ radical – le fait que son mari la trompe – ressemble plutôt à un prétexte, comme si sa fuite était programmée depuis longtemps. Le parcours initiatique qu’elle entreprend nous hypnotise. On la voit littéralement passer de l’ombre à la lumière puisque les couleurs sont grises, sombres, dénuées de relief au début du film puis vives, colorées, lumineuses dans la deuxième partie du film, reflétant l’ouverture d’horizon par les grands espaces de l’Italie où elle s’est trouvée un havre de bien être ainsi que son ouverture intérieure, libérée des chaînes de sa vie d’avant, respirant la liberté à plein poumon.

Cette partie du film en Italie est d’ailleurs sans doute la plus belle ; presque pas de dialogue, juste la contemplation de paysages d’une beauté à couper le souffle, Ann qui part enfin à la conquête d’elle-même dans cet ailleurs providentiel et nous confronte à des sensations et des émotions universelles. C’est alors que le jeu d’acteur comme le conçoit Isabelle Huppert rejoint le propos du film, car selon elle, « jouer, c'est surtout dialoguer avec soi et avec quelque chose de très mystérieux, ses zones d'ombre ».

Dorothée Jouan


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La découverte de l’infidélité de son compagnon est, pour Ann Hidden / Isabelle Hupert, pianiste reconnue, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle décide de tirer un trait sur cette vie qu’elle ne supporte plus. De la vente de son spacieux appartement au don de son dernier sac à dos à un gamin des rues, jusqu'à son arrivée à la fameuse Villa Amalia (rouge comme celle du Mépris, mais sans l'escalier), c’est donc un itinéraire vers le dépouillement que le spectateur suit au gré des notes de piano égrenées par la compositrice. Dommage que les affres d’une artiste friquée puissent ne pas emballer et que la poésie du film soit franchement desservie par l’irruption d’une réalité sociale malvenue.

Les noms du générique s'affichent en fondu blanc sur un fond uniformément noir tandis qu'une musique angoissante se fait entendre. Premières images : étoiles de lumières rouges derrière un pare-brise dégoulinant. Presque un thriller, sauf que la poursuite ne mènera qu'à épier un baiser dans un anonyme jardin de Choisy-le-Roi. Mais on l'aura compris : la musique se fait l'écho des sensations intérieures de la personnage – même le hurlement qu'elle poussera enfermée dans sa voiture ne sera pas entendue, et le dialogue est réduit au strict minimum. Pour une musicienne qui n'a pas besoin de piano pour composer, c'est bien normal.

La recherche du dépouillement est traitée par des moyens simples et efficaces. Le grand appartement parisien se vide, ne reste plus que le noir des piano sur le fond blanc des murs. Ann est de plus en plus simplement vêtue ; elle se coupe les cheveux, finit en nageuse malhabile dans une immense Méditerrannée bleue. Sa blanche peau de rousse interpelle tout de même : où a-t-elle pu donc planquer sa crème solaire ? Bah – si Hupert convainc en deux mots une grand-mère italienne, c'est qu'elle a plus d'une ressource.

Mais, bon. L'espace auquel l'histoire nous fait aspirer lasse vite. Difficile d'en vouloir à la chef opératrice Caroline Champetier, qui parvient à ne pas transformer les côtes italiennes en cartes postales pour touristes – cependant le panoramique récurent partant du visage en gros plan de Hupert pour aboutir à l'horizon dégagé, fondu au noir, revient trop pour ne pas être remarqué. Et incompris, ou trop bien. L'ennui guette.

Ce film effleure avec délicatesse, notamment le visage de Hupert. Mais des plans choquent par leur manque de légitimité. Quel besoin de nous montrer les yeux avides d'un ouvrier sur la somme d'argent liquide qu'Ann a reçu en échange de ses piano ? Et le type en train de fouiller les poubelles où elle a allégremment balancée le contenu de ses placards ? On ne ferait pas mieux si l'on voulait souligner l'iniquité d'un monde bourgeois où ce qui compte, c'est bien son équilibre psychologique personnel. Ann Hidden, artiste précoce, père absent, frère mort, réfugiée dans la musique, s'en va louer une villa en face de la Méditerrannée pour y guérir sa dépression. On ne lui en voudrait pas de se couper du monde s'il n'avait pas l'air de lui crier qu'elle a mieux à faire. Mauvais dosage.

Piera Simon

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